RECHERCHES
HISTORIQUES SUR LE VIEUX LANGON
(Ille
& Vilaine)
Par
Yves Cariou
Annexe
III
Les anciennes cloches de Langon ont
été fondues sous la Révolution pour fabriquer les canons à la "Patrie en
danger". Elles sont mortes, pour ainsi dire, au champ d'honneur, car
c'étaient des cloches patriotiques comme vous allez en juger.
Elles s'appelaient Caroline-Marie et
Marguerite-Sainte Barbe. Ma foi ! ce ne sont pas là, penserez-vous, de bien
jolis noms, mais je vous dirai, qu'en cette matière la mode varie. Ne fut-il
pas un temps où l'on s'appelait Evariste ? … Et puis, Que voulez-vous ? Le jour
de leur baptême, ce ne sont pas les cloches qui sont consultées.
Celles-là avaient vu le jour, il y a
très, très longtemps, dans une fonderie de Normandie, au début du XIVème
siècle. C'était un cadeau du Seigneur Abbé de Redon à ses paroissiens de Langon
pour les récompenser de leur bonne volonté à payer leurs dîmes. Hélas ! il n'en
fut pas toujours ainsi !
J'aurais aimé vous donner les noms
du parrain et de la marraine, mais le vieux parchemin était brûlé à cet
endroit. Plus tard on chuchota que celui qui les avait placées au clocher était
le sorcier de la paroisse, car la sorcellerie était fort courante et l'on
racontait, surtout à Bernuit, qu'elles sonnaient parfois toutes seules.
Guillaume Percevault, le bedeau, n'y
comprenait rien, mais chaque fois que la Caroline tintait toute seule, c'était
une mort dans la paroisse, et chaque fois que la Marguerite le faisait, c'était
au contraire un baptême. "Monsieur Recteur" non plus n'y comprenait
rien et ne voulait rien comprendre car il était un peu sourd. Mais jamais, au
grand jamais, un Langonnais n'aurait osé monter au clocher pendant la nuit, de
peur d'entendre parler les cloches.
Oh, bien sûr, vous rigolez ! Vous
êtes maintenant habitués à la sonnerie électrique : on tire une manette, les
cloches se mettent en branle et vous chantent, suivant le jour, un son funèbre
ou joyeux. Mais les anciennes cloches de Langon demandaient, pour la grande
volée, deux solides gars qui se pendaient à leur corde et prenaient une bonne
"suée" les jours de fête, après avoir tombé la veste. Elles
pleuraient les disparus, berçaient les enfants, réjouissaient les épousailles,
annonçaient la fin du labeur à midi et le soir, s'en allaient à Rome une fois
l'an, n'y restaient pas plus de deux jours, et puis, comme je vous l'ai dit…
sonnaient parfois toutes seules au grand étonnement des Langonnais ! C'étaient
des cloches normandes !...
Et comme je n'avance rien sans
preuve, en voici pour les incrédules :
Vous vous souvenez tous que Bertrand
Du Guesclin chassa les Anglais du château de Fougeray, et de la belle façon !
Parmi les faux bûcherons qui franchirent avec lui le pont-levis, il y avait un
Langonnais de la Chenac qui, le soir de la fameuse journée, en rentrant chez
lui, entendit sonner les cloches de Langon comme un matin de Pâques. Il alla
droit au bourg et trouva Guillaume Percevault couché. Il le réveilla et lui
demanda pourquoi les cloches sonnaient, mais le bonhomme n'en savait rien.
La Caroline et la Marguerite avaient
donc fêté, à leur façon, le départ des Anglais. Depuis ce jour, les payses de
la paroisse se signaient à leur son.
Là-dessus le sorcier de Langon
mourut et les cloches se turent. J'entends par là qu'elles cessèrent leurs
soliloques. Mais les Anglais revinrent en Bretagne et les brigandages reprirent
de plus belle. Ah ! il y avait grand pitié au Royaume de France ! Et les
cloches de Langon se taisaient. La Normandie était devenue anglaise, il faut
bien le dire…
Cependant personne n'aurait encore
osé passer la nuit au clocher. Enfin, un certain Mathurin Provost, un vilain
garnement qui ne fréquentait guère l'école de Gremerye et se cachait derrière
les palis pour lancer des pommes pourries aux filles, paria un jour, sur un
litre de vin du clos des Papillonnays, qu'il oserait tenter l'aventure. Il
attendit que les nuits fussent plus courtes et, le 30 mai 1431, il escalada l'échelle
du clocher, mais la redescendit bien vite, car elles sonnaient, les cloches…
Ah ! mes amis ! ce n'était plus un
carillon de fête, mais un glas lugubre et lamentable. Les gens de Cannedel,
d'au-delà de Brain, se demandèrent qui était mort à Langon. Ce jour-là, en
effet, sur un bûcher de la Place du Vieux Marché à Rouen, les Anglais brûlaient
Jeanne d'Arc, notre grande sainte nationale…
Langonnais, ne perdez pas l'habitude
d'allumer des feux de joie, le premier dimanche après le 8 mai; vos cloches vous
le rappelleraient peut-être !
Je n'en sais pas plus long sur les
vieilles cloches de Langon. On n'en vit jamais de pareilles après la
Révolution.
En 1827, li n'y avait à Langon,
qu'une petite cloche pesant à peine 40 livres. L'année suivante, au moyen d'une
quête, on acheta deux nouvelles cloches qui pesaient 220 et 130 kilos. Elles
eurent pour parrain Mr Buzot de Carcouet, ancien député et pour marraine, Mme
de la Chevière de la Gaudinais.
En 1867 eut lieu une nouvelle
bénédiction car la petite cloche était cassée. Celle qui restait devint à son
tour la petite car ses compagnes pesaient 846 et 446 kilos. Ces trois cloches
formaient l'accord, au diapason ordinaire de mi, sol dièse et si naturel.
La plus grosse fut nommée
Marie-Louise de Langon et eut pour parrain Louis-Marie Gaultier de la Chalnaye,
ancien notaire de la commune et pour marraine Marie-Marthe-Madeleine, Comtesse
de Bois Béranger.
La seconde à reçu le nom de
Marie-Josephe de Langon. Elle eut pour parrain Pierre-Joseph Nevou, Chanoine
Honoraire de l'église métropolitaine de Rennes, natif de la paroisse de Langon,
et pour marraine, Anne-Marie Delalande.
En 1927 la plus ancienne fut
remplacée et la nouvelle s'appela Agathe de Langon. Elle s'entend bien avec sa
grande sœur Marie-Louise et la petite Marie-Josephe.
Vous savez tous que l'Abbé
Jean-Baptiste Gautier, ancien Recteur, leur a fai cadeau de l'adaptation
électrique; mais vous ne savez pas que ce sont aussi des cloches normandes !
Elles sont sorties de l'atelier de Paul Havard, fondeur à Villedieu-les-Poêles. Je
ne pense pourtant pas qu'elles sonnent aussi toutes seules quand une fantaisie
les prend. Vous n'avez rien entendu à ce sujet, n'est-ce pas ? Et puis,
voyez-vous, je ne voudrais pas vous raconter de "blagues" !
On pouvait du moins trouver à redire
au vieux clocher qui, ces dernières années, penchait chaque année un peu plus
vers l'Etier. Allait-il céder à l'appel de la ville engloutie au nom mystérieux
: Langun, Langueur ou Langoui ?... Tout est réparé aujourd'hui grâce à la
vigilance de notre bon maire. Mais les clochetons restent célèbres puisque le
dernier dicton que je viens d'apprendre est le suivant :
"Langon,
paroisse sans reproche :
Treize
clochers, douze sans cloches."
(D'après
les Registres Paroissiaux du Presbytère de Langon)
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